L’avis d’Indre Nature sur la création d’une carrière d’argile par Terreal à Sacierges-Saint-Martin et Roussines
Le travail d’analyse de l’association Indre Nature s’est porté sur les impacts du projet sur la biodiversité.
Indre Nature a analysé trois documents qui reprennent les enjeux d’une carrière d’argile sur les communes de Sacierges-Saint-Martin et Roussines au lieu-dit Le Joux. Ce sont les plus récents, en particulier la réponse au Comité national de protection de la nature (CNPN) de le société Terreal de janvier 2024 :
- L’annexe 15 à la demande d’autorisation environnementale unique : dossier de demande de dérogation pour la destruction d’espèces protégées et la destruction, l’altération ou la dégradation d’habitats d’espèces protégées.
- La réponse du CNPN à cette demande de dérogation.
- La réponse de Terreal au CNPN.
Concernant l’annexe 15 et le dossier de demande de dérogation pour la destruction d’espèces protégées et la destruction, l’altération ou la dégradation d’habitats d’espèces protégées, nous avons analysé l’étude environnementale réalisé par l’Adev sur la base de l’ensemble des données recueillies par nos soins sur le secteur élargi (communes concernées et environnantes).
Les inventaires réalisés par l’Adev en seulement dix journées en 2017 et trois journées en 2021 plus cinq journées chiroptères (pages 44 et 45) montrent la richesse du site. L’annexe 1 à l’annexe 15 (pages 429 à 433) relève 63 espèces d’oiseaux, 17 espèces de chiroptères et autres batraciens et reptiles. Le site étant privé, l’association Indre Nature n’a pas de données sur le site même de Joux mais nos données recueillies à proximité immédiate et sur les communes concernées ou avoisinantes correspondent aux observations (on dénombre 81 espèces d’oiseaux nicheuses répertoriées dans la base de données Obs’Indre).
Cette richesse est bien le signe d’un milieu bocager en parfait état. La région naturelle du Boischaut sud est caractérisée par son bocage mais comme on le constate régulièrement, y compris dans l’environnement proche du secteur du projet du site d’extraction, celui-ci est particulièrement malmené et se réduit de plus en plus à de grandes parcelles entourées par des haies très basses taillées sur trois faces avec quelques arbres isolés.
La demande page 233 (4ème alinéa) indique : « La majorité des boisements semble très propice au gîte chiroptères avec notamment de vieilles chênaies très riches en cavités arboricoles réparties sur l’ensemble du site. »
De la page 272 à la 321, pour chaque oiseau dans chaque partie description on retrouve la phrase : « A l’échelle de l’aire d’étude éloignée de nombreux autres habitats sont favorables à cette espèce. » Oui, mais, jusqu’à quand ? Le modèle agricole d’un bocage avec des haies basses taillées sur trois faces est toujours d’actualité, en progression constante et s’impose même à proximité du site.
Ces réflexions pour dire que ce site avec ses haies hautes et vieux arbres est particulièrement remarquable et riche en faune et en flore au sein d’un environnement bocager en régression.
Sur cette demande, on retiendra quelques points qui nous semblent litigieux. Concernant les oiseaux : la demande (pages 14, 15) de « dérogation de destruction, l’altération ou la dégradation de sites de reproduction ou d’aires de repos d’animaux d’espèces animales protégées » se limite pour les oiseaux aux quatre espèces patrimoniales constatées nicheuses sur le site en 2017 : Gobe mouche gris, Pie grièche écorcheur, Tarier pâtre et Pic mar. Or, comme indiqué précédemment, 63 espèces ont été répertoriées sur le site (annexe 1 à annexe 15, pages 429 et 430).
On peut s’interroger sur le fait de ne reprendre dans la demande de dérogation que les espèces d’oiseaux considérés par l’Adev comme patrimoniale, notion en partie subjective, (pages 272, 280, 291, 297) et constatées nicheuses en 2017. Ainsi ,le Tarier pâtre, espèce assez commune dans le bocage du Boischaut sud, fait l’objet d’une demande de dérogation alors que beaucoup d’autres espèces plus sensibles susceptibles de nicher sur le site n’ont pas fait l’objet de demandes de dérogation. On pourrait citer la Pie-grièche à tête rousse, beaucoup plus rare, constatée nicheuse certaine en 2019 par notre association en limite du site et la Huppe fasciée non inventoriée dans l’étude mais vue régulièrement dans le bocage proche (18 observations depuis 2017 dans l’aire d’étude éloignée de 5 kilomètres).
Concernant les chiroptères : la carte page 335 indique les arbres à cavités favorables aux chiroptères conservés après évitement d’une partie des haies. Si on se réfère aux pages 337 à 342 d’exploitation du site, six arbres sont situés à proximité immédiate de la plate-forme de stockage et de la piste, on peut douter dans cette situation du maintien des chiroptères dans les gîtes.
Au-delà de la destruction des gîtes, les haies hautes du site sont favorables au nourrissage de l’ensemble des espèces de chiroptères, y compris des espèces non reprises dans la demande de dérogation mais inventoriées telles les Petits Rhinolophes, Grands Rhinolophes, Grands murins.
Concernant les reptiles : la Cistude d’Europe n’a pas été inventoriée sur le site mais sa présence est constatée sur l’aire d’étude éloignée de 5 kiomètres.
Concernant les compensations mares et haies : les réimplantations se situeront sur le site d’extraction lui-même, dans le cadre du phasage par périodes de cinq ans, mais aussi sur du foncier jouxtant le site appartenant au porteur de projet (carte page 392). Si l’autorisation d’exploiter était délivrée, il conviendrait de s’assurer que le porteur de projet conservera bien la maîtrise foncière du site à long terme. La nouvelle disposition Obligation réelle environnementale (ORE) de la loi de 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages pourrait être proposée.
Concernant la réponse du Comité national de protection de la nature (CNPN) à cette demande de dérogation et la réponse de Terreal au CNPN : l’association Indre Nature s’associe aux remarques et conclusions de la réponse apportée par le CNPN à la demande de dérogation. Ces remarques confortent notre position sur l’étude et en particulier l’insuffisance de la pression d’inventaire (page 2 « avis sur la réalisation de l’état initial »).
Cette insuffisance de pression d’inventaire a conduit à n’indiquer que quatre espèces d’oiseaux dans la demande de dérogation alors que d’autres sont susceptibles de nicher sur le site (voir plus haut la remarque d’Indre Nature sur la demande de dérogation concernant les oiseaux).
La réponse de Terreal au CNPN n’est pas satisfaisante. Dans les pages 7, 9 et 10, Terreal s’appuie sur les données bibliographiques d’Indre Nature et sur sa base de données Obs’Indre. Bien que le site d’Obs’Indre compte actuellement plus de 1,1 million de données, 6 500 espèces et 3 000 observateurs, les communes de Sacierges-Saint-Martin et Roussines, et en particulier le site de Joux, n’ont pas fait l’objet d’un inventaire ou d’un suivi particulier et les bénévoles et salariés d’Indre Nature ne rentrent pas dans les propriétés privées. On ne peut justifier la non-présence de la Pie-grièche à tête rousse sur le site par une absence d’observation sur le site Obs’Indre. Au vu de nos connaissances, le site de Joux est un milieu particulièrement favorable à cette espèce.
Terreal apporte ensuite en partie des réponses aux remarques de CNPN concernant les mesures d’évitement E1 et E4, les mesures de réduction MNAT R1, R3, R4, R5, R10, R12 et les mesures de compensation C1 à C8. Nous laissons bien sûr le soin au CNPN de juger de ces réponses.
Si beaucoup de manques, d’interrogations semblent avoir reçu réponse, un point suscite particulièrement notre attention. Il s’agit de la pérennité des mesures prises.
Dans ses réponses aux remarques concernant la mesure de réduction R9 et les mesures de compensation C1, C3, C7, Terreal propose la mise en place d’une Obligation réelle environnementale (ORE) prévue par la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages n° 2016-1087 du 8 Août 2016, article 72, codifié à l’article L.132-3 du code de l’environnement. Ce problème de pérenniser les mesures concerne également les zones agricoles humides en compensation au point MNAT C2. A la demande du CPNP, Terreal propose la mise en place de baux ruraux à clause environnementale.
Indre Nature souscrit pleinement à cette possibilité de pérenniser les mesures prises par le biais d’une ORE. Cependant, la mise en place de cette disposition est trop limitée dans la réponse apportée : haies et arbres à gîte Grand Capricorne MNAT R1, haies en compensation MNAT C1, ilots de senescence points C3 et C7.
La première mesure d’évitement E1 (page 325 de l’annexe 15) a réduit le périmètre d’exploitation de 193 hectares à 50 hectares. Des haies, des mares vont être évitées mais avec quelle garantie dans le temps. La mesure de réduction MNAT C1 prévoit pages 33 à 35 du mémoire en réponse de Terreal : « Une ORE de 60 ans sera mise en place au niveau des linéaires de haies compensatoires. » Il en est de même pour la mesure MNAT C3 page 37 : « Une ORE de 60 ans sera mise en place au niveau des ilots de sénescence. » Et pourquoi pas au niveau des haies et mares évitées ?
Une ORE globale (sur les 50 hectares du site d’extraction et les 143 hectares évités) reprenant les haies, les arbres, les mares, les prairies humides évités ou compensés et sur une durée de 60 ans minimum est nécessaire pour pérenniser l’investissement réalisé pour assurer la protection de la biodiversité du site. Il ne s’agit pas de figer la nature à un instant T, on travaille sur du vivant, mais d’établir des règles de gestion du site sur du long terme.
Rien aujourd’hui ne garantit que ces haies évitées, ces mares recréées, ces arbres replantés, seront conservés après la fermeture du site à l’exploitation.
Avis d’Indre Nature
Le site de Joux avec ses haies hautes et vieux arbres est particulièrement remarquable et riche en faune et en flore au sein d’un environnement bocager en régression. La pression d’inventaire lors de l’étude des espèces présentes nous semble insuffisante et la demande de dérogation adressée au CNPN en conséquence trop limitée.
Ce dernier a cependant répondu plus globalement à la demande d’autorisation environnementale. Indre Nature approuve ses remarques et observations. En réponse au CNPN, Terreal propose point par point des mesures supplémentaires qui répondent en partie à ces remarques et observations.
Pour Indre Nature, l’acceptabilité du projet ne peut passer que par la mise en place d’un contrat global Obligation réelle environnementale (ORE) sur l’ensemble du site de 193 hectares, sur une période de 60 ans, qui permettrait d’inscrire dans la durée le suivi des mesures prises lors des séquences d’évitement, réduction, compensation et en conséquence de protéger la biodiversité sur le long terme.
Les pollutions environnementales engendrées par la carrière, les nuisances sonores, les poussières, le trafic routier, les impacts climatiques, méritent également une attention particulière pour être en cohérence avec les engagements de réduction des pollutions atmosphériques et climatiques ainsi qu’avec le diagnostic et les objectifs collectifs de réduction des émissions de la COP régionale.